Je suis l'Alaska, le quarante-neuvième Etat des Etats-Unis d'Amérique. Mais comprenez bien une chose. Je ne suis pas américaine. J'ai beau être officiellement la petite sœur d'Alfred, mon cœur ne l'est pas. Ce n'est pas avec lui que j'ai grandi, ce n'est pas lui qui m'a élevée. Et ce n'est pas pour rien qu'on m'appelle "l'Amérique russe".
C'est en effet Russie qui m'a trouvée. Il m'a prise sous son aile et m'a élevée comme une vraie russe. Il m'a tout appris et, comme lui, j'aime la vodka et les tournesols. S'il y a une chose qui nous différencie, c'est le fait que j'aime le froid plus que tout, alors que lui a tendance à envier les îles du Sud...
Quoi qu'il en soit, un jour, il s'est passé quelque chose. Je n'ai pas compris comment ni pourquoi mais, une belle matinée de l'année 1867, Russie m'a vendue à Amérique. C'est sûrement ce jour-là que mon cœur s'est gelé. Je m'en souviens encore comme si c'était hier : il avait neigé toute la nuit et j'avais eu du mal à me rendre à la réunion des nations. Quand je suis arrivée, un nombre est tombé : 7,2 millions de dollars. Le prix de ma vie.
C'était sans aucun doute là le moment le plus crucial de mon Histoire. J'étais si jeune (en fait, j'ai à peine 5000 ans), je n'avais rien vécu de plus important... Et pourtant, ce jour-là, tout m'est revenu, à partir du début.
Les esquimaux furent les premiers à s'installer chez moi. Ils vécurent surtout dans le Nord, vivant l'été des ressources de la mer de Béring et l'hiver des caribous que l'intérieur des terres leur offrait. Et puis, 2000 ans après leur arrivée, ils sont partis. Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus, ils sont juste partis... Ce n'est qu'en 1784 que des humains revinrent chez moi : des trappeurs russes. Ils établirent des comptoirs de traite un peu partout, avant de se mettre aux colonies. Et après, il y eut des forts. Russie m'a protégée, décrétant que personne n'avait le droit de passer sur mes terres. A ce moment-là, Espagne et Angleterre possédaient encore certains territoires d'Amérique. Du coup, Amérique ne pouvait plus accéder aux fourrures que moi seule produisait. Son président James Monroe décida alors de reconquérir le continent. Amérique, Angleterre et Russie réussirent à s'entendre et reformèrent les frontières en 1824. Un an plus tard, Angleterre obtint le droit de passage sur mes terres. Je l'aimais bien, Arthur. Il était gentil et ne m'obligeait jamais à faire quoi que ce soit. Et puis, en 1867, Amérique m'a achetée.
J'ai donc été vendue et ai rejoint la grande famille américaine. Je suis l'avant-dernière petite sœur et, honnêtement, je n'ai pas beaucoup d'affinité avec ma nouvelle famille. Heureusement que je suis séparée d'eux... Canada, mon voisin (et demi-frère ?), est beaucoup plus calme.
Et maintenant, j'attends. J'attends et j'essaie de comprendre pourquoi. Pourquoi Russie m'a-t-il vendue... ?